Le samedi avait toujours été une journée banale chez les Fields. Scott travaillait comme tous les jours de la semaine. Juliette, elle, s’occupait de sa maison comme elle le faisait si bien depuis le déménagement. Tout ce qu’il y a de plus banale pour résumer. Pour Kyrian, lui, c’était souvent ce jour là qu’il pouvait passer du temps avec celui qu’il considérait comme son meilleur ami, Blake. Il lui confiait absolument tout. Ou presque. En effet, bien qu’il lui ait toujours tout raconté, il ne lui avait pas confié le plus gros de ses secrets, celui qui concernait sa maladie. Oui, pendant toutes ces années, il avait réussi à dissimuler cela à son ami. À chaque fois qu’il se retrouvait face à lui, il se concentrait toujours pour marcher correctement. Oh il lui était bien arrivé de tomber devant lui, mais son excuse avait été sa maladresse. Quand ils s’étaient rencontrés, il s’était juré de ne rien lui dire. Pourquoi ? Simplement parce qu’il avait peur d’être rejeté. Dans sa tête d’adolescent, il avait encore peur du regard des autres à seize ans. Aujourd’hui, il voulait le protéger à sa façon. Mais voilà, il ne pourrait pas lui cacher la vérité éternellement. C’était impossible.

« Kyrian, Blake est là. » Le jeune homme se redressa. Couché sur son lit depuis plus d’une heure, il était plongé en pleine réflexion. Il réfléchissait de tout et de rien. De toute façon, c’était une des seules choses qu’il pourrait toujours faire. Juliette ramassa quelques vêtements qui traînaient dans la pièce et en sortie en disant : « Ne le fais pas attendre. » L’intéressé se mit debout sur ses deux jambes. Heureusement pour lui, aujourd’hui, il marchait à peu près normalement. Avant de sortir à son tour de la chambre, il prit soin de ranger tous les objets qui servaient à sa rééducation au-dessus de son armoire. Un rituel qu’il faisait à chaque fois que Blake venait lui rendre visite. C’était même devenu une habitude avec le temps. Lentement, il sortit dans le couloir et marcha jusqu’au salon en se tenant au mur. Il prit une grande inspiration avant d’entrer dans la pièce. Ne pas fléchir. Quand il y entra, son regard se posa directement sur son invité. Celui-ci, était assis sur le canapé en train de lire une lettre. Kyrian aperçu alors l’enveloppe qui la contenait et il reconnut immédiatement de quoi il s’agissait. Oui pas de doute, c’était bien une lettre de l’hôpital. Une fois que Blake se rendit compte de la présence du français dans la pièce, il se leva d’un bond en montrant la lettre. « Qu'est-ce que c'est que ça? Ataxie machin... » C’est à cet instant précis que le cœur du malade loupa un battement. « Si t'avais un problème de santé tu me le dirais, hein Kyrian? » De là où il était, il fixa le bout de papier que lui tendait Blake. Ça y est, le moment était venu de lui avouer toute la vérité. Il aurait aimé que ça se passe différemment, mais il faut croire que le destin en avait décidé autrement. « Blake ce n’est pas … » Il ne termina pas sa phrase. Il allait inventer un mensonge, mais non, ça, c’était fini. Il devait prendre ses responsabilités. « Je suis désolé. » Il voulut avancer un peu plus vers son ami, mais manque de chance, sa jambe refusa encore de bouger. Pour ne pas tomber, il se rattrapa au mur près de lui. Il prit une grande inspiration et se décida enfin à parler. « Je vais bientôt devoir utiliser un fauteuil roulant. » Pour ne pas rentrer dans les détails, il se contenta juste de dire cela, mais avouons-le, c’était complètement stupide comme raisonnement.

Il faut croire que Kyrian tombait toujours au mauvais moment depuis qu’il avait sa maladie. Et encore aujourd’hui, ça se reproduisait. Heureusement pour lui, le mur avait été là pour l’empêcher de tomber sur le plancher en bois du salon. Blake en ayant vu la scène, laissa tomber la lettre et se précipita vers lui pour l’aider, mais pas assez rapidement, le mur avait déjà empêché un énième désastre. Le jeune homme ramassa le papier qui, lui, n’avait pas eu la chance d’éviter la chute.

Le français dévoila une partie de sa maladie. Celle qui concernait le fauteuil roulant. C’était ça la prochaine étape, il le savait. Les yeux posés sur son ami, il remarqua l’expression de surprise qui s’était instinctivement installée sur son visage. C’était à prévoir. C’est à ce moment là que le jeune homme se mit à faire deux courts allés retours dans la pièce. Kyrian ne le lâcha pas du regard, attendant patiemment une autre réaction, une parole, n’importe quoi, tout aurait fait l’affaire, sauf, le silence. Soudain, il se stoppa et regarda à son tour son ami. Après quelques secondes de silence qui parurent une éternité pour le malade, la voix de Black se fit entendre : « Tu l'as appris il y a combien de temps ? » L’intéressé voulu répondre, mais le temps qu’il cherche une réponse dans sa petite tête, l’autre avait déjà continué : « J'imagine que ça ne fait pas longtemps, sinon tu me l'aurais dit tout de suite ? » Kyrian lâcha le mur. C’était encore une question à prévoir. Comment allait-il bien pouvoir lui expliquer la situation ? Le fait qu’il sache tout depuis des années, depuis la seconde même où ils s’étaient rencontrés. C’était d’ailleurs à cause d’elles s’ils se connaissaient aujourd’hui. Si elle n’était pas apparue, les Fields n’auraient jamais quitté Paris pour venir vivre dans cette campagne. Dans sa tête, les phrases se formaient toutes seules, mais dans sa tête seulement. « & puis merde, de toute façon c'est impossible. Tu vas pas finir en fauteuil roulant, y'a forcément un putain de truc à faire pour éviter ça, Kyrian... » Sans le vouloir vraiment, Kyrian esquissa un sourire qui était destiné à lui-même. Il s’était fait une raison, il savait que dans moins d’un ou deux ans, il serait cloué dans un lit d’hôpital, à ne plus savoir parler correctement. Mais entendre son meilleur ami prononcer ces mots, lui fit l’effet d’une bombe. « Non. Dit-il en détournant son regard. » Celui-ci se posa sur la photographie accrochée au-dessus de la télévision. Allez, le moment était venu. « Dans quelques années, ou même quelques mois, je vais être paralysé … » Il aurait fallu qu’il lui explique sa maladie en détail, mais il n’en avait pas le courage. Expliquer toutes les étapes n’était pas une chose simple à faire, surtout si celui qui les racontait était le malade lui-même. Oh il l’avait déjà fait, mais toujours dans le vague. Pour Blake, il pouvait bien le faire. Il n’était pas n’importe qui après tout. « J’aurais voulu te le dire il y a des années, mais … J’avais peur de ta réaction. » Il en avait encore peur maintenant, mais ça, il ne pouvait rien y faire.