Assise sur une couverture âcre, j'effleurais des mains l'herbe fraîche et si verte de la pelouse tondue deux jours auparavant du jardin. J'en arrachais quelques bruns. De nombreuses pâquerettes s'étendaient à côté de moi. J'en pris une et la glissa au dessus de l'oreille, sur mes cheveux. Une silhouette féminine venait vers moi et criait « SAAAAAALTY ». La dingue qui arrachait mes tympans ? C'était ma sœur, enfin lorsque je dis sœur, je le pense seulement. Je la considère comme telle. Je lui souris en faisant signe de la rejoindre. En réalité, je fus adoptée par la famille Sumsang à l'âge de six ans. Essoufflée, elle s'arrêta près de moi et s'installa sur la couverture à mes côtés. Elle reprit son discours. « Papa m'a dit qu'on pourrait se promener au lac mais seulement une heure. Tu le connais avec ses fichus règles. Il m'énerve tu sais. Bref, tu veux venir ? » Elle souriait. Je pouvais constater la blancheur irréprochable de sa dentition parfaite. Je l'envie. Elle est tellement belle, tellement gracieuse. Si nous nous mettions côte à côte, il n'y aurait pas de choix difficile à faire, elle est la plus belle. Et la plus folle également. « Hum non, je n'ai pas tellement envi tu sais. » Son visage qui reflétait la joie et la bonne humeur était empli de déception. Dommage. Cela se voyait, mais je n'avais vraiment pas envi de la suivre pour aller dans ce fichu lac. Elle sait bien que je ne fréquente pas ces hommes en scooter et qui fument à tirelarigot. Ils me font peur et ont une mauvaise influence sur Pepper. « Allez Eleanor. Juste une fois, la dernière. Je te promets que ça n'arrivera plus jamais, allez ! » Elle ne cessait d'insister encore et toujours dans l'espérance de me faire changer d'avis mais elle pouvait rêver. « Vas-y toute seule ! De toute manière c'est toujours toi, toi, toi ! Tu ne penses pas à ce que je veux moi ? Je ne veux PAS les voir. Ils t'influencent, t'attirent dans le mauvais côté. Ils sont mauvais et tu n'en as rien à faire. Je ne veux pas que cela t'arrive. Ne deviens pas comme eux, je t'en prie. » Elle réajusta sa jupe, soupira et attacha ses cheveux d'un ruban bleu nuances saphir. « C'est mon problème Eleanor. Bon, on va encore se faire chier cette après-midi. Tu veux faire quoi bordel ? » Je me levai doucement, lui tendit ma main et lui retorqua en souriant. « On va se promener ? » Elle me rendit mon sourire directement et pris ma main. Le plus beau cadeau qu'elle pouvait me faire. J'étais plus mûre qu'elle bien qu'elle était plus âgée que moi. Elle aimait faire la fête, je préférais lire et m'instruire. Nous sommes assez opposés mais nous sommes aussi très complices et je l'aime tellement. On nous surnomme comme le sel et le poivre : ils se mélangent mais ne se ressemblent pas. Salty et Pepper, les deux meilleures amis-sœurs du monde

Soudainement, un policier m'interpella et me barra brutalement la route. Il était vêtu d'un uniforme bleu et avait une matraque dans sa poche. Il me regardait méchamment, il voulait me bouffer ou quoi ? « Mademoiselle, stop ! Division de Bundee, veuillez rentrer chez vous. » De quoi voulait-il parler ? Il était complétement fou et décidé à ce que je m'en aille de là. Je reculai son bras puis j'avançai toujours en direction que l'épicerie. Le policier hurla ... encore, il me reprit violemment le bras et me regarda dans les yeux. « Merde mais lâchez-moi, lâchez moi bon sang ! Je dois rentrer chez moi ! » J'essayai de le repousser autant que je le pouvais, de toute mes forces, mais rien n'y faisait. Il était trop fort et c'était tout à fait normal, il faisait trois fois mon poids et ma taille. Fichus flics.
Devant moi, je voyais Pepper, les larmes aux yeux, qui était également retenue par un policier. Elle reniflait sans cesse, nous étions malheureuses et cela se voyait sur nos deux visages déboussolés et perdus. Elle cria de toutes ces forces. « SALTYYYYYYYYYY ! Putain mais laissez-moi la rejoindre, c'est ma sœur ! » Nous nous débattions encore et toujours mais sans succès. Pour moi, c'était terminé, j'avais perdu ma famille. Milayna pouvait toujours rentrer à la maison, c'était de son côté mais moi ... qu'allais-je faire ? Où allais-je dormir ? De multiples questions se posaient et je me brouillais l'esprit. Je l'a fixais dans les yeux, nous étions totalement inférieures à eux, on y pouvait rien. Cela m'attristait davantage. « Écoute-moi bien, tu rentres et tu ne discutes pas. Je me débrouillerais. » Ces paroles que je venais de prononcer me fendaient le cœur. C'était injuste, je le sais. Mais pourquoi parlait-il d'une division de Bundee ? Pepper ne devait sûrement pas être d'accord, elle ne voulait pas me laisser et moi non plus. Cela nous déchirait, je le sentais au plus profond de moi-même. Elle soupira, s'arracha les cheveux - elle fait toujours ça lorsqu'elle s'énerve, qu'elle n'en peut plus - et hurla. « Je viendrais te chercher, je te le promets. Putain mais lâchez-moi, vous êtes fous ou quoi ! Vous vous opposez à des jeunes filles de quinze ans. Vous n'avez aucun cœur, vous êtes injustes ! » Elle s'arrêta un instant et reprit. « Je suis désolé ... Je ne veux pas mais ... » mais le policier qui se trouvait à ses côtés lui fit signe de se taire. « Non mais c'est pas fini votre histoires de gamins ! Allez, ouste ! » On y pouvait rien, c'était la loi. J'étais triste, perdue et je ne savais où aller. Voila la triste et dure vérité. Un des policiers raccompagna Pepper, s'assurant qu'elle ne vienne pas me rejoindre. Il y avait comme un mur qui nous séparait, froid et incassable. De nombreuses troupes faisaient barrage en instaurant des fils électriques et elles restaient là, immobiles, scrutant les horizons. Quiconque essayerait de partir serait automatiquement expulsé du village ou mit en prison, m'avait dit un des gardiens.

Je me tenais droite, devant une porte en bois blanche, une valise à la main droite. Je réajustai ma jupe puis sonnai trois fois. J'attendai impatiemment que l'on m'ouvre. Je regardai aux alentours, tout m'était familier. Rien avait changé. Je sentis l'émotion qui me traversait. Une jeune femme, et quelle jeune femme m'ouvrit la porte. On pouvait apercevoir des larmes couler sur mon visage. Elle hésita un instant. « Oui, c'est pourquoi ? » Elle m'examinait de la tête au pieds, je me sentais vraiment mal à l'aise. Ce n'était que Pepper avec quatre ans de plus. Ses beaux cheveux blonds avaient rudement poussés, ses yeux étaient plus bleus que jamais. Elle n'avait pas l'air de me reconnaître, ce qui m'agacait. Pourtant je n'avais subi aucune transformation physique. J'avais juste un peu maigri. Je n'avais pas changé. Je retins mon souffle. « Oh. Hum ... Désolé, je me suis sûrement trompée de maison. Bonne journée ! » Je lui fis un signe de la main puis et me dirigea vers la grille. Je sortis un mouchoir en coton pour sécher mes larmes qui ne pouvait cesser de couler. Pepper me rattrapa et me prit dans ses bras - juste ce qu'il me fallait pour me réconforter. « Punaise, t'as trop changé. Tu m'as terriblement manqué, tu sais ! » Et moi donc ! Elle hantait mes pensées tout les jours, sa précense me manquait. Je glissai ma main dans ses cheveux bouclés et si doux. Elle sentait la framboise, parfum qu'elle adorait et qu'elle avait toujours porté sur elle. Je retrouvais la Pepper d'antant, toujours aussi câline. « Moi, avoir changé ? Pas réellement. Tu m'as manqué également. » Elle me lâcha aussi vite qu'elle m'avait prise puis rentra dans la maison. Elle me fit signe de la rejoindre, un large sourire aux lèvres. Je rentrai à mon tour. « Tu connais le chemin, hein ! Faut a-b-s-o-l-u-m-e-n-t que tu me racontes ce que tu es devenue. Moi, il s'en est passé des choses ! » J'avais tellement hâte qu'elle me raconte ce qu'il s'était passé durant ces quatres années où je n'étais pas là, si bien que je ne pouvais plus tenir sur place. Un parfum de vanille flottait dans la maison, cela épatait mes narines. J'ouvris les yeux. J'observais attentivement, essayant de me rappeller où était la cheminée ainsi que la télévision et les autres babioles. Surprise ! Plus rien n'était à sa place, mes nombreux portraits avaient disparu. Etrange. Nous montâmes à la vitesse grand V les nombreuses marches de l'escalier pour nous rendre à l'étage supérieure, dans la chambre de Mlle Pepper. « Hum Hum. » lui répondis-je froidement. Je m'installai sur le lit que nous partagions il y a une dizaine d'années lorsque nous n'étions que de bambins insouciants. Elle me regardait dans les yeux, je fis de même. Je posai ma valise à côté de moi puis croisai les bras, j'attendais en gros des explications. Une minute passa. Le silence me pesait royalement, qu'est-ce qu'elle attendait ? Elle qui était si énergique, si impatiente de me raconter son histoire. Je soupirai à nouveau puis toussai pour attirer vivement son attention. Toujours rien. Qu'elle était passive ! Ca me soulait. « T'attends quoi ? » Qu'elle question minable ! J'aurais pu faire bien mieux. Elle me fixait, c'était étrange. J'avais l'air d'être une étrangère ou une martienne - au choix. Je passai la main dans mes cheveux puis elle me répondit. « Je te regarde. » Comment ça me regarder ? Depuis dix minutes ? Je me tournais les pouces enfin pas réellement hein, c'est juste que je m'ennuyais un peu trop Enfin bref, je la contournais du regard, mes yeux étaient plutôt tournés vers la décoration de sa chambre et je puis remarquer le fait que mon lit avait également pris la poudre d'escampette. Interloquée, je lui demanda « Où est mon lit ? Et hum, je dors où ce soir ? » en lui montrant du doigt l'endroit où se situait mon lit. Elle bredouillait. J'attendais vivement une réponse valable de sa part car cela m'inquiétait beaucoup. Dormir ailleurs que dans sa chambre ? Hors de question. J'avais besoin de l'avoir à mes côtés, à moi seule, de retrouver notre complicité d'antant. « Ton lit ? Aux ordures. Où tu dors ? J'en sais rien mais pas ici. Je crois que tu te fiches un peu de ma gueule, là. Je t'ai attendu 6 mois, SIX MOIS après la division. Je te cherchais partout dans le village, je voulais retrouver ta trace mais rien ! Ne t'etonnes pas non plus si tes affaires et les photos sont à la poubelle, je n'ai rien gardé - je voulais t'oublier à tout prix puisque je pensais que tu m'avais oublier également. Alors tes sermons, tu les gardes dans un coin de ta pauvre tête et tu me lâche, ok ? » Je fus on ne peut plus surprise de sa réponse qui me donnait mal au crâne. Elle criait dans toute la maison, qu'elle folle ! Ok, je n'ai plus donné aucun signe de vie durant six mois mais ce n'est pas une raison pour me lâcher comme une vieille chaussette et me laisser pourir dans la nature. « Je comprends ta réaction mais ... mais je n'avais pas le choix. » Réponse directe mais imprécise, très vague en tout points. Pourquoi être restée six mois de plus chez May ? Car elle le souhaitait tout simplement et je ne voulais pas la décevoir et lui désobéir. Elle a été si bonne avec moi et si tendre. Nos adieux furent déchirants bien que j'ai l'intention de la revoir de temps à autre. J'ai changé, j'ai mûri et je me sens femme. « Allez, dégage. » Elle avait le don de me mettre facilement en colère, l'un de mes plus gros défauts, je suis d'accord. Je me levai, pris mon sac et lui mit une bonne baffe sur sa joue gauche. « Si la droite est jalouse, préviens moi. » J'étais en rage, je balançai toutes ses affaires par terre, j'étais triste mais je savais me contenir. Le mal bat toujours le bien, c'est la règle. Elle me regardait avec tristesse, elle n'osait intervenir et heuresement pour elle, je devrais dire. Résultat des courses ? Coussins vidés de leurs plumes, portable cassé en deux, sa toile déchirée ... et la liste continue. Je la regardais dans les yeux, je ressentais sa peine et son chagrin. C'était moi qui l'avait rendue comme cela ? Je n'y croyais pas, non ce n'était pas possible. Putain, je suis horrible ! « J'suis désolé. » Je m'accroupis devant elle, puis l'enlaçai. Elle n'avait pas mérité ça, tout était de ma faute et elle a payé à ma place, je m'en voulais terriblement. « Pardonnes-moi, je t'en supplie ! J'suis maudite et je m'en veux de t'avoir fait du mal. J'avais peur ... oui tu m'entends j'avais peur. Effrayée de te revoir, totalement changée. Je pensais que cela n'allait plus être comme avant et je ne me sentais pas prête. Je me souviens encore de ce jour où nous avons été séparées, je ne veux pas que cela se reproduise. J'en suis consciente, tout est de ma faute mais je le regrette tellement tu sais ... Ce sera dur de me pardonner mais Pepper, je t'aime comme pas possible, t'es ma soeur et tu le resteras quoi qu'il arrive. Que tu veuilles encore de moi ou non. Pepper et Salty pour la vie, tu te rappelles ? J'ai besoin de te redécouvrir à nouveau, partager ces moments de bonheur avec toi et toi seule. Je suis certaine que Papa et Maman m'en veulent autant que toi, me haïssent, tout ce que tu veux mais vous ne pouvez nier le fait que je fait partie intégrante de votre vie et de votre famille. Maintenant, je te laisse libre de tes choix. Me pardonner ou non, fais comme tu veux mais qu'importe ta réponse, je te reconquérirai quoi qu'il m'en coûte et tu me connais, lorsque je veux quelque chose, je l'obtiens. Je ... » Pepper m'interrompit brusquement en posant son doigt sur ma bouche. Elle avait l'air tout simplement décontenancée par ce que je venais de lui dire et elle devait l'être. « Chut ... Tu trouves toujours les bons mots Eleanor mais ce sera peut-être dur de te pardonner comme je l'avais toujours fait avant. C'est étrange mais une chose me dit qu'il faut que j'oublie cet épisode et que l'on recommence comme avant, comme c'était prévu mais une autre partie, toute petite me dit que ce que tu as fait est impardonnable et qu'il faut t'oublier. Je choisis la première option et j'espère ne pas avoir à le regretter. P'tain que je t'aime Salty. Je te jure qu'on ne se quittera plus. »